Charge Mentale au travail
8 avril 2020Et si le confinement nous permettait d’équilibrer notre charge mentale de travail ?
Interruptions répétées, fractionnement du travail, quantité de travail, immédiateté des échanges, succession de réorganisations dans les entreprises, insécurité de l’emploi, etc.. Autant de facteurs qui font de la charge mentale, un fort enjeu de la qualité de vie au travail au 21ème siècle.
Le télétravail, lorsqu’il est bien accompagné, a démontré son efficacité quant à la réduction de la charge mentale : amélioration de la qualité de vie personnelle et familiale, diminution de la fatigue et du stress, amélioration de la productivité et de la qualité du travail.
En 2017, 11 % des cadres français bénéficiaient au moins une journée de télétravail par semaine[1]. Même si la France était en retard par rapport à ses voisins européens, cette tendance s’accroît fortement avec la période de confinement actuelle (8 millions de Français concernés), où chacun est incité à travailler de chez soi, dès lors que cela lui est permis.
Toute la difficulté aujourd’hui est que bon nombre de salariés n’y ont pas été préparés et subissent de plein fouet ce mode de fonctionnement, qui plus est, à temps plein. Et comme toute organisation non anticipée ni choisie, le télétravail ici peut accroître la charge mentale de travail, au point parfois de créer une réelle souffrance au travail.
Surcharge et sous-charge mentale
Sommes-nous de fait, en train d’accroître la fracture d’une France à deux vitesses ? Ceux pour qui le télétravail existait déjà dans les pratiques managériales, et ceux pour qui il représente un véritable chamboulement du travail ?
Sommes-nous égaux face à ces changements subis ? Parce que la crise actuelle entraîne une surcharge de travail pour certains et une sous-charge pour d’autres. Dans ces deux situations, ne sous-estimons pas le poids de la crise actuelle, source de charge mentale augmentée.
Une charge de stress lié à l’effort mental
- Parce que nous sommes face à une situation inédite, les priorités sont bouleversées. De nouveaux problèmes se posent, qui pour certains restent sans réponse
- Parce que certaines formes de management d’avant crise sont mises à mal : management directif, management paternaliste, management persuasif
- Parce que la forte augmentation de l’absentéisme prive l’entreprise de compétences difficilement transférables à d’autres collègues
- Parce que travailler à distance est bien plus fatigant : la charge cognitive d’un appel ou d’une visioconférence est plus importante qu’une réunion physique, ils nécessitent une hyper concentration qui est épuisante
- Parce que nous ne disposons pas forcément chez soi d’un espace adapté au travail comme au bureau : pas le même niveau d’équipement, une pièce où s’isoler, etc.
Une charge de stress psychologique
- Parce que la distanciation physique peut être vécue comme une perte de repère, un sentiment d’isolement et venir perturber notre efficacité globale. L’être humain est un être social qui a besoin de contact et de lien avec les autres. On en viendrait presque à regretter l’open-space !
- Parce que notre esprit est davantage préoccupé par des proches malades, et / ou affecté par un deuil.
- Parce que la crise actuelle sans précédent provoque une incertitude quant à notre avenir professionnel et remet en cause la sécurité de l’emploi établie avant crise.
Une charge liée au temps
- Parce que le rapport au temps est chamboulé : les agendas et projets sont suspendus, ralentis ou accélérés.
- Parce que même si pour certains, la charge de travail est moindre, elle nécessite tout autant voire plus de temps pour la réaliser qu’en situation normale.
- Parce que les interruptions des collègues sont remplacées par les multiples sollicitations des enfants ou conjoints, eux aussi confinés.
Tous ces bouleversements créent encore plus aujourd’hui un net déséquilibre entre la charge de travail prescrite, l’activité réelle et la charge de travail ressentie.
Pas de retour en arrière
Pour autant, le sondage réalisé la semaine dernière auprès d’un échantillon de salariés suisses donne un résultat étonnant[2] : 80 % d’entre eux veulent davantage de télétravail après la crise. Malgré le confinement imposé, les bénéfices du télétravail sont nets : une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, plus de flexibilité dans les horaires, plus de libertés dans l’organisation des tâches de la journée. Ceux qui ont bien vécu le télétravail ne reviendront pas en arrière.
Cette configuration représente une formidable opportunité d’emmagasiner de nouvelles expériences et de nouveaux modes d’organisation : faire le point sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas ou plus. C’est aussi l’occasion d’interroger un certain nombre d’idées reçues, de croyances sur le travail souvent d’un autre siècle, et l’opportunité de revisiter notre rapport au travail dans notre équilibre global. Le sociologue François-Xavier Bellamy disait que le mal du 20ème siècle était l’individualisme, celui du 21ème, l’attention (difficulté à se concentrer, être attentif, être vraiment présent pour la personne qui nous parle, physiquement et intellectuellement). Offrons-nous l’opportunité de nous recentrer sur ce qui est essentiel pour nous, de remettre les pieds sur terre.
Balayons le présentéisme
- Il faut arrêter de prétendre que plus on fait d’heures, plus on rend des dossiers épais, meilleurs on est : l’enjeu est d’être au bon endroit, au bon moment, de la bonne façon et d’optimiser notre ressource la plus précieuse : le temps
- C’est l’occasion de développer la responsabilisation individuelle : accordez-vous avec votre manager sur le travail que vous pouvez faire, dans les conditions particulières qui sont les vôtres
- Nous n’irons plus au bureau parce que nous devons y aller, mais parce que l’on doit voir des gens en particulier, parce qu’on y a un intérêt
Créons-nous de nouveaux rituels qui donnent plus de sens à notre vie.
- Un footing, une séance de yoga, à la place du temps passé dans les transports pour se rendre au bureau
- Renforçons la coopération entre collègues en se donnant des rendez-vous réguliers, avec un sujet précis à traiter, qui viennent nourrir et donnent des repères dans la journée de travail
- Aux managers d’encourager la collaboration et le travail en petite équipe. Même si ce n’est pas le chemin le plus court, il stimule les esprits, favorise la créativité et permet de créer du lien. Il relève aussi de la responsabilité du manager de repenser sa façon de manager son équipe, plus étendue tant géographiquement que sur le plan de l’état d’esprit : des noyaux de décision plus éclatés, le travail qui cesse d’être prioritaire pour certains
Acceptons de ne plus être uniquement dans un temps de travail linéaire fixe et d’assouplir les contours des frontières entre la vie personnelle et la vie professionnelle.
- Dédions des vrais temps au travail et des vrais temps de pause, même si c’est dans une unicité de lieu
- Organisons les temps où l’on peut être interrompu dans une tâche
- Profitons-en aussi pour faire découvrir son travail à ses enfants, et pour davantage découvrir ce que nos enfants font à l’école, dans leurs études ou leur vie professionnelle
Repensons le rapport à nous-mêmes
- Donnons forme aux liens sociaux qui NOUS importent
- (Re)prêtons attention aux petites choses de la vie
- Donnons-nous des objectifs simples
- Autorisons-nous du temps, rien que pour nous-mêmes
- Identifions les tâches, les choix d’organisation de notre journée pour lesquels la liberté octroyée a eu un effet positif sur nous-même et qui mériteraient de perdurer, y compris après la crise
En bref …
… à chacun d’entre nous d’inventer son modèle de travail de demain, de redéfinir et réorganiser son travail, de créer un nouveau système où, travailler de chez soi, ne sera pas qu’un confinement, mais une réelle opportunité de piloter l’organisation de son travail.
Parce que nous aurons choisi et décidé d’un mode d’organisation qui vise l’alignement et l’équilibre des vies, parce que nous continuerons à prendre du temps pour les choses qui comptent pour nous, alors notre mental n’en saura que plus libéré.
[1] Etude DARES – 2017 / [2] Etude du cabinet Colombus Consulting auprès d’un échantillon de 1 000 salariés suisses, du 15 au 24 mars 2020